5h00 Ça fait des mois que je ne me suis pas levé si tôt. Pas évident… mais ça fait 8 semaines qu’on se repose donc, à part reprendre le rythme, ça devrait bien marcher. Il y a de l’énergie en réserve.
L’impression est bizarre… Je retourne dans ma classe, avec mes élèves, enfin, au moins une partie d’entre eux… et pourtant, j’ai l’impression de faire quelque chose pour la première fois, de commencer un nouveau métier. Je ne dirais pas que je suis inquiet, je suis content de revoir, pour de vrai, mes élèves… mais je suis tendu. Je sais ce que je dois faire, je sais comment le faire, j’ai fait ma liste des choses à faire avant que les élèves arrivent, en 2 heures, ça devrait passer sans problème… et pourtant… C’est comme ce virus, on en parle beaucoup, on ne le voit pas… Personnellement, j’ai été beaucoup plus en contact avec la crainte ambiante et ses conséquences qu’avec le virus lui-même.
5h39 Le moteur tourne, c’est parti pour une bonne demi-heure de route. Habituellement, je pars plus tard et en train… mais je ne désire pas reprendre tous les risques en même temps… et puis, j’avais quand même ramené quelques équipements de ma classe à la maison… c’est plus confortable comme ça.
Il pleut de cordes, un bon orage, qui nettoie la route… et pourquoi pas le virus ! Il y a encore peu de monde sur la route à cette heure-ci. Partir tôt était un bon plan.
6h15 J’arrive au collège, à 40 km de chez moi. La dernière fois que je suis entré dans ce grand collège, il était presque vide. Seuls quelques élèves du SAS (le service d’accueil scolaire, la garderie pour les élèves dont les parents assurent les fonctions primordiales de la société) et les collègues qui s’en occupent étaient là. Il n’est pas beaucoup plus rempli aujourd’hui.
C’est un peu difficile d’imaginer que bientôt, plus de 150 élèves et une vingtaine d’adultes seront à nouveau présents, après 8 semaines d’absence.
Ce matin, il y a 2-3 choses de plus que d’habitude à faire : séparer les tables, répartir les élèves dans la classe, scotcher les distances, distribuer le matériel commun, afficher les règles sanitaires, vérifier que le matériel nécessaire est disponible. Finalement, tout tourne bien : copies, installation,… j’ai même le temps de boire le “café du vendredi” avec une collègue, à distance respectable bien sûr.
8h25 Les élèves sont presque tous là, du moins le demi-groupe qui sont invités. Un arrive avec un peu plus tard. Dur de se remettre à se lever tôt après 8 semaines d’horaire décalé. Ils m’attendent sagement alignés dans la cour, espacés d’un mètre et demi. Avec une demi-classe, c’est faisable. Ils sont radieux, comme les couleurs vives de leurs vêtements et de leurs sacs qui contrastent avec le gris de la météo et de l’environnement.
Ils se lavent les mains et découvrent leur environnement de travail légèrement transformé et s’y font facilement. Ils sont contents d’être là, un peu penauds, plutôt calmes et à l’écoute des nouvelles mesures sanitaires. Nous prenons le temps de discuter, à bâtons rompus, puis de manière plus structurée. Nous travaillons le blason du retour à l’école. Les élèves peuvent y faire figurer ce qu’ils ont aimé ou pas, le meilleur et leur pire souvenir, et un souhait pour la fin de l’année. Le temps passe vite… Ranger le travail effectué pendant les semaines à la maison, prendre le nouveau travail pour les 2 semaines à venir,… C’est déjà l’heure de la récréation. Lavage des mains avant de sortir.
La récréation se fait sous le petit auvent de la sortie arrière de l’école… il faut innover pour sortir avec la pluie qui tombe à nouveau. Lavage au retour et, finalement, la fin de la matinée arrive aussi vite que la récréation. Lavage des mains avant de partir manger.
La pause de midi est calme, les enseignants se relayent à la salle des maîtres, beaucoup mangent dans leur classe ou en petits groupes, à distance respectable. Je profite de terminer le remontage de la classe, de résoudre un problème de son qui ne sort plus que d’un côté, de mettre de l’ordre dans mon administration.
L’après-midi commence par le lavage des mains. Elle est calme et studieuse : les élèves commencent leur travail individuel, afin de pouvoir poser des questions si nécessaire, d’avoir l’aide appropriée. De leurs collègues plutôt que de l’enseignant tant que possible, pour respecter les distances sanitaires. Ça marche plutôt bien… et c’est très pédagogique.
Certains élèves ont de la peine à se remettre au travail. Ils sont fatigués ou perdus dans leurs pensées… Il faut dire que le changement de rythme est rude… Pour moi, par contre, ce sont presque des vacances. Il y a un ralentissement notoire à travailler avec mes élèves plutôt que seul à la maison. Et puis les changements de lieu et de transition dynamisent la journée. Heureusement, ce retour à l’école se fait en douceur, d’abord pour apprendre à y revenir. Le travail est secondaire, le rendement une illusion.
La fin de la journée arrive tout en douceur. Lavage des mains et on se fait un au revoir de la main… on décidera plus tard d’une manière commune.
Finalement, ça s’est plutôt bien passé. Les élèves étaient heureux d’être là, même si plusieurs ont exprimé le manque des camarades absents. Retrouver la classe, un des enseignants, le « travail » en collectif,… c’est mieux qu’en visio-conférence ! Les interactions – à distance surveillée – ont été nombreuses. Il y avait de la joie à revivre la classe pour de vrai, même contrainte et diminuée. Certains élèves ressemblaient à ceux qui découvrent un système de classe pour la première fois : ils ont perdu leurs réflexes, leurs habitudes, … Une coupure de 8 semaines, c’est long ! Le retour, c’est agréable… mais petit à petit.
15h50 Je reprends la route du nord avec le sentiment de la mission accomplie, et bien content d’avoir revus mes élèves dans d’aussi bonnes conditions. Toutes proportions gardées bien sûr !
Prochaine étape, le retour de la classe entière !